Les laboratoires pharmaceutiques travaillent dans l’ombre afin d’influencer médecins et décideurs publics. Alternatives Economiques publie des données exclusives qui prouvent leur omniprésence dans la politique économique du médicament. Deuxième volet de l’enquête du magazine Alternatives Économiques en quatre épisodes.

Carton rouge. C’est avec cette sanction symbolique – à valeur d’exemple – que l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), premier centre hospitalier de France, met en garde les médecins qui se retrouvent dans des situations de liens d’intérêts* qu’elle juge « excessifs », car trop visibles, avec les laboratoires pharmaceutiques. Martin Hirsch, le directeur général, en dispense en moyenne six par an. Même si l’AP-HP est pionnière en France en la matière, cela reste peu au regard de la fréquence de ces liens. Selon notre enquête, pas moins de 73 % des médecins de l’AP-HP entretiennent des liens d’intérêts avec des laboratoires.

77,5 % des médecins hospitaliers sont en lien avec les labos dans l’ensemble des centres hospitaliers universitaires (CHU)

Ils sont plus nombreux encore à l’échelle de l’Hexagone : en moyenne, 77,5 % des médecins hospitaliers sont en lien avec les labos dans l’ensemble des centres hospitaliers universitaires (CHU) ! Ces données exclusives, extraites par Alternatives Economiques avec l’aide des associations Regards citoyens et Formindep1 , reflètent la forte pénétration des délégués commerciaux des laboratoires au sein des hôpitaux. Elles pointent aussi un système encore très opaque de circulation des financements pour la recherche. Il faut dire que pour les labos, l’hôpital est une cible stratégique sur le marché français.

Un marché moteur

En France, les médicaments sont écoulés soit via les pharmacies, où les patients se rendent après la consultation (ou pas) d’un médecin, soit via les hôpitaux. Le marché hospitalier représentait 7,4 milliards d’euros en 2016, sur un chiffre d’affaires total du médicament en France de 27,6 milliards d’euros, soit un peu plus d’un quart, selon un rapport de Xerfi2. Mais surtout, « les laboratoires sont prêts à tous les « sacrifices » pour que les médicaments soient prescrits en première intention à l’hôpital, car ils savent que le renouvellement est ensuite quasi automatique par les médecins de ville », explique Etienne Caniard, ancien membre de la Haute autorité de santé, dans un récent ouvrage3. De fait, jusqu’à la moitié des prescriptions des généralistes en médecine de ville sont prédéterminées par celles des médecins hospitaliers4.

Ces derniers sont par conséquent au centre des attentions des laboratoires. Parmi les « avantages » les plus courants qui leur sont octroyés, il y a l’invitation à des colloques, dont le coût moyen s’élève à 1 211 euros, selon l’AP-HP. Faute de budget public, la formation médicale des praticiens continue en effet à être financée à hauteur de 98 % par l’industrie pharmaceutique, selon l’Igas5. « Si la qualité scientifique de ces colloques n’est pas forcément remise en cause, c’est surtout l’occasion pour les labos de promouvoir leur nouveau médicament dans une logique marketing, en insistant peu sur les contre-indications et les effets secondaires », affirme Paul Scheffer, du Formindep.

Des « associations de service » opaques

Mais le principal intérêt des laboratoires pharmaceutiques est ailleurs. « La participation des médecins hospitaliers à la recherche clinique et leur influence nous importent davantage que leurs prescriptions », affirme un dirigeant d’une grande entreprise pharmaceutique. Pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un médicament, un laboratoire doit en effet effectuer des essais cliniques, qui sont encadrés par des normes internationales et doivent obligatoirement avoir lieu en CHU. D’où la nécessité pour les industriels de trouver des équipes médicales au sein de ces établissements. (…)

Lire la suite : L’hôpital, objet de convoitises des labos | Alternatives Economiques

Lire aussi (volet 1 de l’enquête d’Alternatives Economiques) : https://www.alternatives-economiques.fr//lobbying-labos-pharmaceutiques-ne-lachent-rien/00082521

Laisser un commentaire